Film : Shanti
Sarah Hoarau
Maurice, La Réunion / 2010 / Fiction / 10’
Shanti, présenté lors de la soirée d’ouverture du festival Ile Courts, a été réalisé par la Réunionnaise Sarah Hoarau, qui a tourné cette fois à Maurice. Au-delà de l’usage d’une caméra photo qui donne une qualité visuelle particulièrement flatteuse notamment dans le traitement de la couleur et des textures pour les gros plans, ce film de dix minutes montre une bonne maîtrise du mélodrame chez cette diplômée de l’Institut de l’Image de l’Océan indien (ILOI).
Les deux volets de ce film s’articulent autour de Shanti, interprétée par Nanni Aubeeluck, qui se révèle troublante dans les deux aspects du personnage qu’elle interprète. Le film s’installe avec l’ouverture matinale du petit salon de coiffure de cette femme d’âge mûr. Une amie arrive bientôt pour se faire coiffer, tandis qu’elle fixe un autre rendez-vous par téléphone. Une enfant vient passer le temps fuyant les disputes de ses parents. Rien de plus jusqu’ici que l’atmosphère vivante et authentique d’un salon de coiffure de quartier qui fait un peu penser à la charmante légèreté du long métrage libanais Caramel. Mais ici l’ambiance est plus calme et la distanciation humoristique, absente.
Le babillage sympathique entre la coiffeuse et son amie cliente, prend peu à peu une tournure aigre scandée par les réactions hostiles de la fille de Shanti qui oppose un non ferme et boudeur à toutes ses invites. La tension atteint son paroxysme lorsqu’elle lui lance une des remarques les plus blessantes qu’une mère puisse entendre, la plaçant devant le désastre d’une vie qu’elle a ratée. Ces remarques acerbes transforment ce qui ressemblait à une chronique sociale relativement légère en un drame existentiel que la caméra lit sur le visage de la mère, où la tristesse tout autant que l’amertume semblent palpables.
Sous des lumières soudainement assombries, une intensité dramatique nouvelle se fait jour et ce retournement complet d’atmosphère, ce passage de la légèreté quotidienne à la gravité, amène une autre façon de filmer et de raconter une histoire. L’amie prend le relais, comme dans quelques vieux films indiens un peu désuets, pour raconter ce qu’était Shanti dans sa jeunesse. Elle fait découvrir le passé de chanteuse de Ghazal adulée par le public, de cette femme au regard si songeur aujourd’hui. Et le spectateur de découvrir une Shanti, coiffée, parée et maquillée telle une déesse indienne, dans l’exercice infiniment troublant de son art, bouleversante de charme et de beauté. Derrière le drame d’une carrière interrompue par on ne sait quel mystère, cette histoire nous invite à aller au-delà de l’apparente banalité du quotidien, révélant qu’un artiste peut se cacher derrière le personnage le plus ordinaire, qu’un roman se trame peut-être dans chaque famille mauricienne…
D. B.
Île Courts 2010
Atelier critique de cinéma animé par Jacques Kermabon
6>10 octobre 2010
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